EPOPEE MISSIONNAIRE PARMI LES TSIGANES
Avec Clément Le Cossec
Un entretien réalisé par Farid Djilani-Sergy
http://www.paroles.ch/ (Radio Réveil)
I – UN APPEL A L’AIDE
Farid Djilani-Sergy : Clément Le Cossec, vous êtes le fondateur de la Mission évangélique tsigane. Elle est née dans les années cinquante suite à un Réveil spirituel parmi le peuple tsigane, toutes tribus confondues. Vous estimez pour l’année 1996 à 500 000 le nombre de tsiganes venus à la foi en Jésus Christ en Europe. Première question : pourquoi vous êtes-vous engagé auprès de cette population si mal considérée ?
Clément Le Cossec : Je crois d’abord qu’il est effectivement juste de spécifier que les diverses tribus tsiganes – manouches, roms, etc. – forment un seul peuple. Un peuple en marge de nos sociétés comme vous le relevez, mais qui a ses propres coutumes, ses dialectes ou langues, son histoire. Pourquoi m’être tourné vers ce peuple plutôt que vers les Bretons que je pensais initialement évangéliser ? Pour le comprendre, il faut remonter au lendemain de la guerre, en 1946. J’avais 25 ans. Un jeune tsigane d’une vingtaine d’années est venu à la paroisse dont j’étais le pasteur, à Lille. Il m’a pressé de me rendre auprès de sa mère qui était malade. Quand je suis arrivé dans leur pauvre chaumière, la maman était allongée sur un matelas posé à même la terre (cela m’avait frappé). Je me suis agenouillé près d’elle, je lui ai parlé de Jésus-Christ, de son amour et du pouvoir qu’il avait de la guérir. Elle avait la foi, et le Christ l’a guérie. Le jeune homme était musicien, mais sa guitare n’avait pas de cordes. Je l’ai invité à venir jouer à l’église dont je m’occupais après lui avoir donné la possibilité de réparer s guitare. Il est donc venu, et il m’a ensuite fait visiter d’autres tsiganes. C’était mon premier contact avec ce peuple qui vit dans des caravanes mobiles. La guerre terminée, ils ont repris la route, sortant des camps dans lesquels ils avaient été maintenus. Je les avais donc côtoyés pendant un mois, priant pour tel ou tel malade que l’on me présentait. Ils avaient eu écho de la guérison de la mère du gitan qui était venu me trouver. Ils ont eu l’occasion de rendre témoignage à l’assemblée, puis au bout d’un mois, ils sont partis. Je les ai oubliés, la vie reprenait son cours normal si je peux m’exprimer ainsi.
L’histoire se répète
Ce n’est que quelques années plus tard, en 1950, que j’ai rencontré une autre famille tsigane, mais cette fois en Normandie, à Lisieux plus exactement. Je rencontrai une femme tsigane dont on me raconta l’histoire : Un colporteur biblique, Monsieur Roger, tenait un stand sur la place du marché. Une tsigane de la tribu des manouches, Marie-jeanne Duvil surnommée Azi, se fait remettre un prospectus au dos duquel se trouvait indiquée l’adresse d’une église évangélique de la ville. Quelque temps après, un de ses fils tombe malade, le médecin lui annonce qu’il n’y a plus d’espoir de guérison. Elle se souvient du prospectus qui lui a été donné, se fait lire l’adresse, et se rend à l’église. Elle pleurait abondamment, le pasteur de l’église s’est enquis de sa situation, et il est allé à l’hôpital avec elle. Toute l’église a prié pour la guérison de son fils, et le Seigneur a accompli ici encore un miracle, le jeune homme était guéri. Toute la famille est venue à la foi en Jésus-Christ.
Deux ans plus tard, à Brest, je retrouve quelques-uns de ceux qui s’étaient convertis à Lisieux. Ils étaient désespérés parce qu’aucun pasteur n’était disposé à les baptiser par immersion. Ils avaient portant la foi, mais n’étaient pas mariés légalement, selon les lois de la société française. L’acte de mariage était difficile à obtenir parce qu’il fallait résider au minimum 21 jours dans la commune ; or, les gendarmes les chassaient toutes les 48 heures ! L’un des tsiganes, un jeune homme de 28 ans, surnommé Mandz, m’a dit : « Puisque les pasteurs ne veulent pas nous baptiser, j’ai décidé de me rendre avec ma femme Pounette près d’une rivière. Je mettrai ma Bible sur l’herbe. Je ne sais pas lire, mais je sais qu’il est écrit : Celui qui croira et qui sera baptisé, sera sauvé (1).Après cela, je baptiserai ma femme, et Pounette me baptisera. » Quand je l’ai entendu, cela a fait tilt, je ne pouvais pas rester insensible son cri de détresse. C’est alors que je me suis attaché à venir en aide aux tsiganes. Plusieurs sont venus à la foi, nous avons pratiqué des baptêmes dans la mer, et le Réveil s’est alors propagé comme une traînée de poudre. Un an plus tard, plusieurs centaines de tsiganes étaient convertis. Ils me réclamaient des serviteurs de Dieu pour les encadrer mais il n’y en avait pas. J’étais venu en Bretagne pour faire un travail de pionnier parmi les Bretons, car il n’y avait que deux églises évangéliques pour trois millions d’habitants dans cette vaste région de l’ouest. Et voici que je me trouvais en face de cette population nomade qui me demandait des pasteurs. En se référant aux directives de l’apôtre Paul, qui écrivait à son compagnon d’œuvre, Tite, afin qu’il établisse des anciens dans les églises nouvellement créées(2) il est apparu qu’il fallait suivre la même voie. Après avoir demandé quels étaient ceux qui parmi les tsiganes chrétiens voulaient servir Dieu, quatre jeunes hommes qui voulaient être pasteurs ont été installés à cette époque. Ils ont appris à lire, et je leur ai donné des cours bibliques. Ils ont propagé avec enthousiasme la bonne nouvelle de Jésus-Christ parmi leur peuple. Ils étaient remplis du Saint-Esprit, et le Seigneur les accompagnait en opérant des guérisons miraculeuses.
Conversions massives
Six ans après cette rencontre à Brest, en 1952, ils sont trois mille tsiganes venus à la foi en Jésus Christ. Le besoin est immense, alors que faire ? J’ai rencontré de jeunes pasteurs qui ont accepté de prendre en main les communautés que j’avais contribué à mettre en route dans différentes villes de Bretagne. J’étais de mon côté très occupé, mais c’est à ce moment-là que j’ai fait « le bond de la foi », comme on dit. J’ai laissé entre les mains d’un jeune pasteur l’église, ou « l’assemblée » de Rennes, qui avait été créée avec le concours de l’évangéliste missionnaire Douglas Scott. Et je suis parti à l’aventure sur les routes avec le peuple tsigane. Quelles découvertes ! Il me fallait apprendre sur le tas ses us et coutumes, sa langue, son mode de vie, et pour finir être adopté, tout cela a demandé du temps. Les familles tsiganes sont internationales. Tel cousin est à Paris, tel neveu à New-York, tels parents à Stockholm ou Buenos Aires. L’évangélisation a commencé par l’Europe : Belgique, Hollande et Allemagne, mais aussi Espagne, Portugal et Italie. Je prenais avec moi de jeunes prédicateurs tsiganes que je formais.
- Cette mobilité insatiable des tsiganes était finalement un atout pour la propagation de l’Evangile.
- Oui, et ce travail missionnaire se poursuit encore aujourd’hui, notamment dans les pays de l’Est. Il a fallu aller aussi beaucoup plus loin, au Canada, aux Etats-Unis, au Mexique ou en Argentine. J’ai voyagé dans 44 pays différents apportant le message de l’évangile au peuple tsigane. Par la suite je les ai aidés à se constituer en « assemblées chrétiennes » et des hommes ont été formés pour les conduire.
Un sort partagé
- Est-ce que ce sont uniquement les circonstances qui vous ont amené à embrasser ce ministère particulier ?
- Quand je me suis converti, à l’âge de 14 ans, au Havre, j’ai dit à ma mère : « Quand je serai grand, moi, j’irai annoncer l’évangile aux pauvres ! » J’avais cette préoccupation sur le cœur parce que notre famille était elle-même très pauvre. Nous avions connu, nous aussi la souffrance, la misère et la maladie. Mon père était marin-pêcheur. Devenu mutilé de guerre (celle de 1914-1918) il a été nommé gardien de phare de la Jument de l’île d’Ouessant. Ensuite il a été muté en Normandie. Nous avons été quelque peu méprisés en tant que Bretons. Ma mère s’habillait en bretonne, elle avait sa coiffe, il a fallu qu’elle change de vêtements. Elle a beaucoup souffert de cette situation. Pour ma part, un professeur m’avait fait une réflexion peu agréable pour les oreilles d’un Breton. Je pouvais comprendre, à ma mesure, le rejet et le mépris qu’endurent les gitans. Quand nous avons rencontré le Christ au cours de réunions évangéliques au Havre tout a changé et nous avons connu alors une vie heureuse. Je souhaitais la partager avec les plus pauvres. J’ai reçu un enseignement biblique et j’ai poursuivi mes études jusqu’au jour où il a fallu partir parce que la guerre était déclarée. Nous étions en 1939. On est venu me demander si je ne voulais pas remplacer les pasteurs qui étaient mobilisés. J’ai accepté, là aussi dans un élan de foi. C’était l’aventure, j’abandonnai la préparation d’un futur métier, une vie toute tracée. Quand j’ai rencontré les gitans dont je vous parlais, j’ai constaté qu’ils étaient rejetés, méprisés, abandonnés et pauvres. Je me suis dit : il faut que je les aide. Je n’ai pas reçu une révélation particulière, non, il y avait un besoin, il fallait y répondre. On peut dire que le processus s’est enclenché surtout à partir du moment où les tsiganes à Brest m’ont demandé de venir à leur secours. J’étais un peu dans la situation de l’apôtre Paul qui a dû répondre à l’appel du macédonien(3).Il fallait fonder des « églises roulantes », comme on les appelait.
II – UNE EGLISE ROULANTE
- De sédentaire, vous allez devenir voyageur. Vous avez une trentaine d’années, vous êtes marié et vous avez à charge des enfants. Cela n’a-t-il pas été trop difficile ?
- la décision de suivre la route des tsiganes n’a pas été prise à la légère. Nous n’avions pas l’assurance d’un salaire, ce confort que même les pasteurs en charge d’une paroisse connaissent. Nous n’avions aucune garantie. On ne pouvait pas trop compter sur les gitans parce qu’ils étaient pauvres. C’était à nous au contraire de les aider. Il ne se posait pas seulement la question de la subsistance, c’est qu’il fallait voyager, faire des centaines de milliers de kilomètres, mais pendant toutes ces années le Seigneur a répondu présent. Signalons que des amis ont pris à cœur cette action missionnaire.
De la suite dans les idées
- Avez-vous été bien accueilli dans la vaste communauté des tsiganes, et correctement intégré ?
- Oui, il n’y a pas eu de problèmes. Ils avaient une soif intense de Dieu et ils étaient désireux de suivre Jésus Christ, par conséquent ils avaient un grand respect à mon égard. J’étais au fond considéré comme un envoyé de Dieu, sans pour autant avoir à prendre des poses paternalistes. Tout s’est passé dans une confiance réciproque. J’ai ainsi contribué à former des hommes, qui ont repris le travail d’évangélisation de leur peuple sous leur responsabilité, de telle sorte que je me retire et leur cède la place. Ayant reçu un enseignement biblique suffisant, ils l’ont ensuite transmis à leur tour, comme l’apôtre Paul lui-même l’a préconisé et comme les disciples et futurs apôtres de Jésus avaient été envoyés sur les routes après trois ans d’apprentissage à la suite de leur Seigneur… Pour cette raison, une petite école biblique roulante dans une caravane a été fondée, mais les vocations devenant de plus en plus nombreuses, nous avons acheté une propriété pour pouvoir accueillir tous les futurs prédicateurs. Nous avons eu par exemple 220 étudiants en 1996. Une école biblique s’est aussi ouverte en Inde, une autre est à l’heure où nous parlons en construction. Le futur prédicateur reçoit un enseignement biblique de base pendant quatre ou six mois, ensuite il est placé pendant trois ans sous la responsabilité d’anciens prédicateurs qui ont une bonne expérience de la Parole – la Bible. A l’issue de cette période de formation, s’il est capable de bien enseigner et si l’on donne de lui un bon témoignage, il est admis comme prédicateur. A son tour, quand il sera plus âgé, il pourra devenir responsable d’autres jeunes. C’est une rotation qui a demandé pour fonctionner correctement que des bases soient d’abord jetées et assumées par quelques uns.
- Combien de temps faut-il pour bien former un futur serviteur de Dieu ?
- Beaucoup de temps ! Au moins une dizaine d’années….Des jeunes s’étaient convertis au début du Réveil, ils avaient entre vint et trente ans. Arrivés à la quarantaine, ils avaient acquis une expérience de dix ans, ce qui a permis d’élargir le travail quand ils ont pu en former d’autres. La Mission évangélique tsigane est aujourd’hui dirigée par les tsiganes eux-mêmes, tant en France qu’en Espagne ou en Inde.
- Combien la « Mission » compte-t-elle de pasteurs ou prédicateurs ?
- Ils sont actuellement six mille prédicateurs rien qu’en Europe. Quand on pense au chemin parcouru depuis la rencontre de Brest où ils n’étaient que quatre ! Ils sont 4 000 en Espagne, les 2 000 autres se répartissant dans le reste de l’Europe. La France en compte mille. Sans compter ceux qui sont aux Etats-Unis ou en Inde. Là-bas l’oeuvre a commencé il y a une trentaine d’années. Il est connu que les tsiganes venaient initialement de cette région du globe, et j’ai eu le désir de m’y rendre en 1966, année où j’ai pris contact avec les tsiganes de l’Inde. Parcourant les villages, j’ai pu voir leur misère et prendre à cœur d’apporter mon concours pour les rejoindre et les aider. Il y a maintenant plus de 250 prédicateurs gitans en Inde, et selon les statistiques officielles du gouvernement, il y aurait 60 000 villages de tsiganes. C’est un grand champ missionnaire pour lequel il est passionnant de travailler. On se sent utile. Là-bas aussi, parmi ces gitans pauvres, on a soif de Dieu.
Un peuple en quête de Dieu
- De quelle religion sont les tsiganes non chrétiens ?
- En général, ils ont adopté la religion des pays qu’ils traversaient. En Inde ils sont hindous, dans les autres pays ils sont musulmans, orthodoxes en Europe de l’Est ou en Russie, luthériens en Finlande, et ils se disent généralement catholiques en France.
- Ne s’agirait-il pour eux que de religions de façade ?
- C’est difficile à dire. Mais il faut reconnaître qu’ils ne sont pas très pratiquants, même si, par exemple, un certain nombre fréquente les pèlerinages.
- Ils n’ont donc pas de religion qui leur soit propre ?
- Non, pas vraiment. Ils croient en l’existence d’un dieu transcendant qui porte des noms différents selon les tribus. Ma mission a essentiellement consisté à leur faire connaître Jésus-Christ. Il ne s’agissait en aucun cas de les sermonner avec de la morale, en leur disant qu’il ne fallait plus boire, ni mentir, ni voler, ni dire la bonne aventure. Je savais qu’en recevant le message du Christ, tout changerait dans leur vie, comme c’est le cas pour tout homme ou toute femme qui se tourne vers Lui. Leur changement de comportement ne pouvait être que l’œuvre du Christ.
- Comment vous faisiez-vous comprendre ?
- Je parlais en français dans l’Hexagone ; en Inde, en anglais, mais nous avions toujours des interprètes. Les prédicateurs gitans parlent en général trois langues : la langue anglaise, celle de l’Etat dans lequel ils vivent, et leur propre idiome enrichi d’expressions, de la syntaxe ou de mots empruntés aux divers pays d’accueil.
Transformations radicales
- Comment se traduit concrètement la grande réceptivité au message de l’évangile que vous avez relevée ?
- On ne peut pas affirmer que tous les tsiganes sont, comme on le pense peut-être encore, des brigands ou des voleurs de poules. Ce sont des clichés. J’ai rencontré des tsiganes tranquilles, intelligents, sans problèmes, et pas batailleurs pour un sou ! D’autres étaient des brigands, comme on en trouve partout, parmi tous les peuples du monde. Par exemple, une gitane me disait que depuis la conversion de son mari, c’était désormais le ciel dans sa caravane et non plus l’enfer. Elle m’expliquait qu’avant il rentrait trois heures du matin, il était ivre et il la frappait. Maintenant c’est lui qui, le matin, lui apporte le café au lit ! On peut parler ici de transformation radicale. La population non-tsigane a été étonnée de pouvoir observer de tels changements. On venait parfois de loin pour voir ces gens dont on avait généralement peur et qui se révélaient maintenant si paisibles. Quand j’étais petit il est arrivé que ma mère pointant du doigt des tsiganes se fâche contre moi en disant : « Tu vois ces bohémiens là-bas, eh bien ils vont te prendre. » Elle aussi a succombé au cliché du tsigane « voleur d’enfants ». Mais quand vous êtes parmi les tsiganes, vous pouvez entendre la femme tsigane dire à son petit : « Sois sage, parce que sinon tu vois le gadjo là-bas il va te marav, » autrement dit « celui qui n’est pas tsigane va te frapper. » La suspicion, on le voit, est réciproque. Quand on vient à la foi en Jésus-Christ ces préjugés disparaissent. Normalement ! Il y a toujours du nettoyage à faire à l’intérieur de soi ! Mais disons que dans l’ensemble l’existence d’un individu qui s’en est remis à Jésus-Christ est transformée, qu’il soit gadjo ou tsigane.
- La conversion des tsiganes a-t-elle été un facteur d’intégration, au sein de l’église, mais aussi et plus généralement dans la société ?
- Oui, bien qu’il y ait encore quelques réticences de la part de certains gadjé, sur la question du mariage par exemple. Autant que je puisse en juger, je crois qu’il n’y a pas de problèmes dans les relations fraternelles, les tsiganes sont aujourd’hui accueillis dans les églises. Quand le mouvement de sédentarisation s’est fait sentir nous avons songé à créer des communautés qui leur soient propres. Des considérations à caractère raciste ou une volonté d’apartheid n’ont rien à voir dans cette décision. On s’est simplement aperçu que, lorsque plus d’une centaine de gitans nouvellement convertis s’affiliaient à une petite assemblée chrétienne de cinquante membres cela créait de sérieux problèmes, même si tout le monde y mettait du sien. Quatre ou cinq personnes à la fois peuvent facilement s’intégrer dans un groupe, mais au-delà d’un certain nombre, l’adaptation est plus difficile. C’est donc en raison de leur nombre que des églises tsiganes ont été établies. Il faut savoir qu’en France la moitié de la population tsigane est venue à la foi en Jésus-Christ. Si 50 % de la population française devenait authentiquement chrétienne, selon l’Evangile, cela serait formidable ! Nous avons actuellement plus d’une centaine d’églises sur le territoire national, dont douze à Paris. Cela fait maintenant une vingtaine d’années que la Mission évangélique tsigane a adhéré à la Fédération protestante de France. On peut dire que les gitans chrétiens se sont ouverts aux autres et recherchent l’entente fraternelle. Il n’est pas rare que des prédicateurs gitans prêchent dans des paroisses réformées ou d’autres sensibilités confessionnelles. Nos relations avec l’ensemble des églises évangéliques sont bonnes.
III – UNE FOI QUI RENVERSE LES MONTAGNES
- Qu’est-ce que les chrétiens tsiganes apportent de spécifique à l’église et au monde ?
- Ce qui est frappant chez le tsigane, c’est sa foi. On parlerait volontiers de la foi du charbonnier. Le tsigane a un côté bon enfant, sa foi est pure dans le sens où elle est entière. Il se dit souvent : « Si le Seigneur l’a dit ou l’a promis, cela doit donc se réaliser. »
Un ancrage biblique
- C’est une foi qui peut renverser des montagnes.
- Oui, et c’est pourquoi le Réveil spirituel parmi ce peuple s’est accompagné de nombreuses guérisons. Jésus a dit que les malades seront guéris, par conséquent le tsigane n’en doute pas. Il s’agit d’une foi agissante. Cela dit les tsiganes ne sont pas non plus des enfants de chœur. Leur témoignage de conversion qui s’appuie parfois sur un lourd passé n’en a que plus d’impact. Très tôt, des Conventions ont été organisées et mises en place, qui rassemblent aujourd’hui 5 000 caravanes, soit environ vingt mille tsiganes. Les autorités étaient invitées – maires, députés, préfets, ministre, etc. Je peux vous dire que les tsiganes ne se gênaient pas de leur parler de Jésus-Christ. Ils ont une hardiesse qui fait peut-être défaut aux chrétiens des églises plus « classiques ». Ne sachant ni lire ni écrire, le « téléphone arabe » et le témoignage direct, mieux que les prospectus jetés dans des boîtes aux lettres, ont permis une propagation rapide et étendue de l’évangile. Son impact a été important.
- La Bible existe-t-elle en langue tsigane ?
- Oui, elle a entièrement été traduite par Mattéo Maximoff, un gitan écrivain bien connu. Il existe d’autres traductions, en roumain par exemple, grâce au prédicateur Chamu. La difficulté a consisté à traduire un texte dans une langue orale, mais on ne peut pas nier que ces travaux ont contribué à implanter la bonne Parole dans les cœurs et les esprits des tsiganes ouverts à l’évangile. Nous utilisons surtout la Bible dans la langue du pays dans lequel les tsiganes auxquelles nous nous adressons se trouvent, et qu’ils connaissent généralement bien.
Une priorité : prêcher Christ
- Vous ne vous êtes pas limités, je suppose, à la seule annonce de Jésus-Christ. Parlez-nous du « travail de suite ».
- Oui, mais il convient d’abord de « prêcher Christ » selon la formule des apôtres. Cela est toujours resté une priorité pour moi. Ce que nous faisons dans le cadre de la Mission évangélique tsigane ne se réduit pas à apporter une aide matérielle, ce que beaucoup d’organisations humanitaires font chacune dans leur secteur et de façon compétente. Nous apportons un plus, le Christ lui-même. Nous ne perdons pas de vue que notre objectif premier est de parler du Christ, le pain vivant qui est descendu du ciel.(4) Il faut bien comprendre qu’il n’y a pas de salut possible pour l’homme en dehors de Jésus-Christ. Il est venu sur la terre, il a vécu pauvrement, et il a apporté la bonne nouvelle du salut par la grâce. Parlant de lui-même, il a dit que « Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils. »(5) Dieu est amour, cet amour s’est révélé par le don de Jésus-Christ aux hommes. Notre message est décisif pour l’avenir de l’être humain, parce que le Christ non seulement est venu sur la terre pour porter nos péchés, pour les expier, et nous pardonner, mais le Christ est ressuscité, il est vivant, et il nous accompagne tous les jours. Il donne la force qui nous est nécessaire afin de poursuivre la route qu’il nous a tracée pour apporter son évangile. L’apôtre Paul écrivait que nous avons tout pleinement en Jésus-Christ (6). Jésus n’est pas la propriété d’une religion, il est, si on peut dire, à la disposition de tous les hommes que Dieu veut sauver. Jésus a dit lui-même aux disciples d’aller dans le monde, de faire à leur tour des disciples, et de leur enseigner tout ce qu’il a prescrit.(7) Il faut donc que le message du salut soit bien compris. Si on n’a pas fait soi-même l’expérience de la conversion comment pourrait-on communiquer aux autres les réalités spirituelles dont l’Evangile fait vivre et le témoignage qui s’y rattache ? Il est essentiel d’assurer des bases doctrinales à un vécu de foi tout neuf. En étant non seulement un converti mais aussi un disciple, on peut ensuite transmettre ce que l’on a reçu. L’apôtre Paul, encore lui, demande à son compagnon Timothée de confier ce qu’il a entendu de sa bouche « à des hommes capables de l’enseigner aussi à d’autres. »(8) Cela fait boule de neige, mais tout commence par Jésus-Christ. Nous ne propageons pas la doctrine d’un simple homme, d’un chef ou d’un gourou, nous proclamons l’évangile du Fils de Dieu. On est à son service, et personnellement, en me mettant au service des tsiganes, c’est à Jésus-Christ que je me soumets et que je sers. Je leur ai appris à le servir aussi, et non pas à servir un homme, tel qu’il soit ! Pour ma part, je n’ai été qu’un simple outil entre les mains de Dieu. D’une certaine façon l’apostolat ne consiste pas seulement à « amener des âmes au Christ », comme on dit, mais aussi à s’assurer qu’elles sont effectivement fondées et enracinées en Lui. Il faut bien sur aussi un minimum d’organisation, et c’est pourquoi, quand une propriété a pu être achetée, une association cultuelle a été mise sur pied de telle sorte que ce soit bien l’affaire d’une association, autrement dit de l’église, et non d’un homme. Les structures de la Mission Tsigane n’ont leur raison d’être qu’en fonction d’un seul objectif : le progrès de l’évangile parmi le peuple tsigane. L’organisation matérielle reste ainsi secondaire, réduite au minimum. Du reste, les tsiganes chérissent particulièrement la liberté, ils n’aimeraient pas se sentir à l’étroit au sein d’une organisation trop tatillonne.
Les aléas du nomadisme
- Du point de vue précisément de l’organisation matérielle et du rapport en particulier que le mouvement tsigane peut entretenir avec les autorités, que pouvez-vous en dire ?
- C’était difficile au début. Il y avait le problème du stationnement, le statut de nomade n’a jamais été vraiment accepté. Notre action a donc toujours eu aussi une dimension sociale. Rien que de plus normal pour un chrétien que d’aider son prochain dans le besoin. J’ai mis sur pied une autre association à caractère social, en vue de traiter ces questions de stationnement. De nombreux autres problèmes étaient – et sont encore aujourd’hui – à l’ordre du jour. Les tsiganes ont appris à négocier avec les autorités locales, départementales ou nationales. La situation est aujourd’hui bien meilleure que ce qu’elle a été il y a quarante ans en arrière. Les questions en suspens se situent maintenant davantage sur un plan européen.
IV – UN REVEIL SPIRITUEL AUX RETOMBEES SOCIALES
- Peut-on dire que ce mouvement de Réveil spirituel a eu des retombées sociales et a contribué à une meilleure acceptation de la population tsigane ?
- Oui, certainement. L’évangile est une « puissance de vie », ses retombées dépassent le cadre strict de ce que l’on nomme le « spirituel ». Je vous en donne une illustration.
Au secours des tsiganes de l’Inde
Nous avons décidé de faire quelque chose en Inde, parce que j’ai été touché par la situation misérable des tsiganes de la tribu des Narikoravas. Le chef du village était venu me trouver et m’a dit : « Voyez, nos enfants ne reçoivent qu’un seul repas de riz par jour. Aidez-nous à leur en donner un second. » J’en ai parlé à des chrétiens qui ont été d’accord de soutenir l’action que je voulais lancer pour les tsiganes de l’Inde. Cela s’est traduit par la fondation d’un premier pensionnat, et aujourd’hui nous avons 18 pensionnats où nous accueillons 900 enfants gitans que nous sauvons de la faim, grâce à un système de parrainage. On voit ici encore que l’évangile nous amène à faire acte de charité.
- N’avez-vous pas finalement favorisé la sédentarisation des tsiganes ?
- Non, pas forcément, parce que nous avons des « églises mouvantes ». En fait, ce sont les tsiganes eux-mêmes qui ont jugé bon de se sédentariser. Du point de vue spirituel cela leur est apparu plus avantageux. Ils pouvaient ainsi fréquenter leur église en permanence. Ce processus de sédentarisation a favorisé leur alphabétisation, et une meilleure connaissance de la Bible. J’estime personnellement que le voyage doit continuer, je suis contre une sédentarisation trop stricte. La plupart sont sédentarisés pendant six mois de l’année, et voyagent les six mois restant, à la belle saison.
Aller jusqu’au bout
- Vous avez 76 ans, le voyage s’est-il arrêté ?
- Ah non ! , l’année dernière encore nous avons fait beaucoup de voyages, dont l’Angleterre et la Hollande. Et au mois de janvier nous
- nous sommes rendus une nouvelle fois en Inde, où nous envisageons toujours d’apporter notre concours. Il se peut qu’un jour nous arrêtions, mais pour l’instant, mon épouse et moi-même, nous sommes engagés dans une retraite active. Il faut aller jusqu’au bout. Le pasteur qui annonçait l’évangile au Havre, et grâce auquel je me suis converti avait vingt ans de plus que moi. Or, quand nous sommes allés ensemble à Madagascar pour le service de Dieu, il y a six ans environ, il avait 90 ans ! Avec la grâce de Dieu, on peut toujours aller au-delà de ce que nous pensons…
- Vous pouvez être satisfait, je pense et à juste titre, de la vie que vous avez menée. Est-il finalement difficile de se rendre utile aux autres ?
- Tout est difficile, vous savez. Quand j’étais tout jeune, je désirais être capitaine au long cours (c’est ce qu’est devenue mon camarade de classe), j’aurai voyagé partout dans le monde. Chaque engagement a son lot de contraintes. En définitive, j’ai beaucoup voyagé, avec en prime la joie de servir le Christ dans quelques conditions que ce soit.
- Il faut avoir un esprit de sacrifice, tout de même, pour servir le Christ ?
- Oui, mais si on l’aime, on est heureux de le servir, quand bien même on subirait des désagréments pénibles. C’est par amour pour lui et pour les autres qu’on le fait, non pour en escompter de la reconnaissance ou de la gloire. Si on a ce bon état d’esprit, croyez-moi, il y a toujours de quoi se rendre utile. On trouvera à coup sûr autour de nous des personnes qui ont besoin de la présence salutaire du Christ, que nous avons à annoncer. Quel que soit notre âge ou nos capacités, si nous sommes décidés à suivre le chemin du Christ, il y a au moins une chose que nous pouvons tous faire : prier et témoigner un tant soit peu, de quelque manière que ce soit, de l’amour que nous avons reçu de Dieu. Il faut persévérer et pouvoir dire comme Paul à la fin de sa vie, « j’ai achevé la course. »(9)
Précisions
- Les foules qui s’empressaient autour de Jésus semblaient être attirées surtout par les guérisons physiques qu’elles recherchaient. L’intérêt et la popularité que les tsiganes ont manifestés massivement pour la personne de Jésus étaient-elles aussi intéressées ?
- Je ne pense pas. Il faut bien se rendre compte que l’église primitive fondait sa foi sur un Chris agissant. Les apôtres eux-mêmes, après la Pentecôte – le don du Saint Esprit -, imposaient les mains, et il se produisait des miracles opérés au nom de Jésus. Pensez à l’apôtre Pierre dont l’ombre elle-même guérissait les malades.(10) Le miracle faisait partie du message délivré par les apôtres et je pense qu’aujourd’hui il faut continuer à s’inspirer de cet Esprit qui animait l’église des premiers siècles. La foi des gitans a été fondée sur la personne de Jésus-Christ et sur la puissance de Dieu, non pas sur les miracles eux-mêmes. C’est dans ce sens qu’on peut dire que leur conversion n’a pas été intéressée. Et si miracles il y a c’est le Christ qui en est l’auteur. Les tsiganes n’ont pas pris les prédicateurs pour des guérisseurs, mais pour des envoyés de Dieu, c’est différent. Ils savent que c’est le Christ qui guérit, nous avons toujours insisté là-dessus : c’est le Christ qui sauve et c’est Lui qui guérit. Il est au centre de notre message, de notre action et de notre cœur. Et à ce propos j’ajouterai qu’il ne suffit pas de raisonner, de vouloir tout mettre en équation pour mieux dénoncer, voire même ridiculiser ce à quoi nous sommes appelés à croire. Les gitans ont ce mérite de n’avoir pas érigé sur un piédestal et en censeurs un intellect dont je ne dénie pas cependant l’utilité et la nécessité quand il est utilisé à bon escient. Ils ont peut-être, de ce fait, plus de facilité à ouvrir leur cœur à Christ et à l’évangile, ce que nos sociétés matérialistes ont de plus en plus de peine à réaliser. La question reste entière et elle nous vise tous : avons-nous véritablement soif de Dieu ?
- Marc 16 : 16
- Tite 1 : 5
- Actes 16 : 9
- Jean 6 : 51
- Jean 3 : 16
- Colossiens 2 : 10
- Matthieu 28 : 19-20
- 2 Timothée 2 : 2
- 2 Timothée 4 : 7
- Actes 5 : 12-16, le verset 15 en particulier